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Épicure et culture

1 février 2011

Ce mois-ci, j’ai acheté Les cahiers du Cinéma opus Janvier 2011. Au-delà de la maquette pointue du magazine – propre et pertinente -, je redécouvre ce que le mot culture veut dire. Les articles délivrent des noms de réalisateurs qui me sont inconnus, des analyses avec des références de cinéphiles confirmés. En parcourant les différentes rubriques, je tombe sur un dossier à propos d’Alexandre Sokourov, de passage à Paris et interrogé sur le long-métrage qu’il est en train de tourner, une adaptation de Faust.

J’avais déjà entendu parler de cet artiste hors-norme pour sa fameuse réalisation L’arche russe, plan-séquence d’une heure et trente minutes filmé à la steadycam dans les salles du musée de l’Ermitage. J’y apprends que son maître était le non moins connu Andreï Tarkovski qui avait lui-même pour maître Mikhail Romm. Ils sortent tous les trois de l’école de cinéma moscovite VGIK. Un système élève-maître à trois générations qui rappelle le trio philosophique SPA aka « Socrate – Platon – Aristote » !

Le Jeu de Paume programme une rétrospective du travail de Sokourov avec des projections de documentaires, une mise en route intellectuelle qui permet de se plonger dans la filmographie riche du cinéaste russe incluant son cycle d’Élégies et une trilogie devenant tétralogie (trilogie sur les dictateurs Hitler, Lénine et Hirohito conclue par le film en cours d’achèvement sur l’adaptation de l’ouvrage de Goethe).

Hier matin, je visite enfin l’exposition L’or des Incas proposée par la Pinacothèque – où l’on devient un freak lorsque l’on a moins de soixante ans – et dans la file d’attente, une charmante hôtesse nous demande si ce sont bien les joyaux de la civilisation précolombienne que l’on désire voir car il y a une annexe du musée qui vient d’ouvrir où l’attente est quasi nulle. Le thème : « Romanov, tsars collectionneurs : L’Ermitage, la naissance du musée impérial ».

Voilà, c’est ça que j’aime à Paris ! En quelques jours, à partir d’un article dans un magazine, je redécouvre Sokourov qui a une rétrospective dédiée au Jeu de Paume, puis me rappelle de L’arche russe tournée dans le musée de l’Ermitage pour finalement boucler la boucle, au détour d’une exposition, en recevant une invitation à en découvrir une autre sur ce même musée titanesque de Saint-Pétersburg.

Il y a de la culture partout quand on s’y intéresse et les ponts mentaux que l’on est obligé de faire entre un article, un cinéaste, une exposition, un film, un musée forcent la mémoire à asseoir un socle culturel pourtant en perpétuelle construction. Ce socle, c’est comme le lierre, il court, il s’épand, sautant d’un domaine à un autre, il est profondément insatiable. Cette impression – qui est en fait une rassurante réalité – devient une évidence que la connaissance ne trouve jamais conclusion. Un savoir est une invitation à en découvrir un autre, et l’adage de Tonton Socrate « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » est un brin plombant.

Je lui préfère une notion de sautillement intellectuel entre tous les domaines de la création : photographie, cinéma, théâtre, musique, architecture, peinture, design… etc, et ne vois dans le trou de la culture personnelle qui s’agrandit au fur et mesure que la connaissance s’accroit aucune frustration sinon une formidable stimulation mentale, une carotte intellectuelle qui vous récompense à dose de bonheur d’esprit pour l’effort premier que tout ignorant dans un domaine doit affronter.

Grâce à l’école du Louvre, grâce à Ernst Gombrich, grâce au Jeu de Paume et ses cours de culture visuelle, grâce à Internet, toutes ces sources de culture enrichissent la vision du monde et transforme l’invisible ou anodin en beauté remarquée.

Comment aurais-je pu apprécier l’élégance de la facture de ces étoffes incas à la Pinacothèque si je n’avais pas suivi le cours sur les textiles à l’école du Louvre la semaine passée ? Comment aurais-je pu apprécier toutes ces prouesses architecturales qui m’entourent et me narguent à Paris quotidiennement si je n’avais pas appris sur l’histoire et l’art en architecture ?

Le savoir ajoute de la force à la réception d’une œuvre au sens où l’on saisit avec plus de finesse les qualités (et les défauts) d’une création.

La culture donne les clés pour la contemplation d’une beauté imperceptible au premier abord. Il est illusoire de considérer l’art sans savoir ni culture. L’art est profondément contextuel et la connaissance de l’histoire et de l’histoire de l’art plus spécifiquement apporte encore plus de richesse au sentiment de bonheur que l’on a face à un chef d’œuvre.

La culture alimente Épicure. Elle est le mets abstrait responsable du plaisir intellectuel.

Strates. Janvier 2011. Photo : Jean-Romain Pac.

Strates. Janvier 2011. Photo : Jean-Romain Pac.