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Au-delà, la dernière série-B de Clint Eastwood

27 janvier 2011

Clint Eastwood avait déjà annoncé la couleur avec Sur la route de Madison, récidivé avec Million Dollar Baby, persévéré avec Gran Torino. Pour son dernier film Au-delà, il confirme et signe un cinéma grand public faiblard, baignant dans le sentimentalisme de films de seconde zone.

Le sujet est pourtant riche et peu commun : les expériences de mort imminente (EMI), le travail de deuil, et naturellement la position de la mort dans notre existence, lorsque nous sommes encore en vie. Les trois héros ont chacun un rapport particulier avec la grande faucheuse : Marie, célèbre journaliste parisienne qui vit une EMI lors d’un tsunami ; George, médium à San Francisco capable d’entrer en communication avec des personnes défuntes ; et Marcus, jeune garçon vivant à Londres dont la vie est bouleversée à la suite du décès de son frère jumeau.

Clint Eastwood et l'un des frères McLaren sur le tournage d'Au-Delà. Photo : Warner Bros, France.

Clint Eastwood et l'un des frères McLaren sur le tournage d'Au-Delà. Photo : Warner Bros, France.

Soyons honnête, la mort est rarement un sujet facile dans la mesure où elle est reçue différemment en fonction du contexte culturel. L’angle pris par Clint Eastwood (ou Peter Morgan le scénariste) est franchement hardi : celui de l’au-delà, de la vie après la mort. On quitte donc le domaine rationnel, le choix du thème est véritablement une gageure de la part du cinéaste étant donné que le public-cible appartient massivement aux sociétés dites occidentales. Clint Eastwood porte un sujet tabou à l’écran et trouve le point commun trans-culturel des trois héros : celui de l’inconnu après la mort.

Mauvaise pioche, ce film est une caricaturale série B passablement réalisée. La mise en scène est balourde, le scénario s’éparpille et se perd dans la première moitié du film, quant à la réalisation elle souffre d’erreurs de débutant avec des problèmes de continuité et d’éclairage.

Le film est introduit par Cécile de France et Thierry Neuvic jouant le rôle du couple frenchy. Pendant le tournage, Clint Eastwood dirige très peu ses acteurs et leur laisse carte blanche. Le résultat n’est pas aussi beau que cette liberté à la création : tout sonne faux, de la première séquence où le couple est présenté au réveil dans un hôtel au JT présenté par la journaliste quelques temps plus tard. Les dialogues sont au choix laconiques avec des expressions toutes faites mal intégrées ou totalement à côté de la plaque en terme de justesse, on n’y croit pas. Clint Eastwood nous livre bien une série-B plutôt qu’un film. De fait, toutes les structures narratives sont simplifiées pour être mieux comprises et les procédés cinématographiques exagérés. Heureusement, les deux jeunes garçons, les frêres Frankie et George McLaren à la ville donnent un souffle positif au film avec une interprétation impeccable et Matt Damon est pour sa part toujours égal à lui-même : subtile et juste.

La première moitié du film, censée présenter les personnages, construire le socle du récit se transforme en une succession de banals plans de coupe sans contenu. Clint Eastwood arrive malgré tout, à la force d’un montage dynamique jonglant avec les trois histoires parallèles à maintenir le spectateur éveillé jusqu’à la fin. Soyons francs, les temps morts – sans mauvais jeu de mot – sont rares.

La mise en scène est le réel sujet d’étonnement. Dans une certaine mesure, Clint Eastwood nous avait pourtant déjà mis en garde en nous imposant des personnages forcés et caricaturaux dans Gran Torino – lui-même en première place – et assommé avec des scénarios aux fins trop souvent moralisatrices comme dans Invictus. Pour être sûr que le message passe bien, tout niveau de lecture autre que le premier est évincé. Voilà le véritable problème des films de Clint Eastwood ; Au-delà ne déroge pas à la règle : un manque de consistance et de prise de risque. Ses films sont plongés dans une douce consensualité démagogique.

Tout est direct, répété, surligné, appuyé. Le milieu social de chaque personnage du film en est un exemple flagrant. George, le médium dans le film, est un modeste américain ; la simplicité de son habitat (petite cuisine mal éclairée) est rappelée plusieurs fois dans le film avec le montage. A contrario, Marie la célèbre journaliste a un train de vie cossu et le spectateur est forcé d’intégrer cette information : hôtels luxueux, berline allemande, chauffeur, restaurants « de standing ». En soi, c’est normal qu’il y ait ces données pour donner le contexte social de chacun mais Clint Eastwood le fait sans mesure et ne parvient pas à trouver un équilibre.

Vous n’avez pas compris que l’on est à Paris ? Mettons alors la journaliste lors d’une réunion avec son éditeur dans un grand bureau en verre donnant sur la tour Eiffel. Mais où étaient donc les bérets et baguettes de pain ?! Vous semblez distrait et ne pas comprendre que ce moment du film est grave ? Pas de problème, Clint pense à tout : un orchestre de violons appuie la scène et surtout, le volume est monté au point de saturer les enceintes du cinéma au moment décisif et intense de la scène !

L’une des premières séquences du film en est un autre exemple, lorsque Marie frôle la mort par noyade, on voit légèrement au loin un ours en peluche. Il est placé stratégiquement dans le cadre de telle sorte que n’importe qui le remarque et fasse le rapprochement entre la mort et le début de la vie, avec ce symbole de l’enfance et de l’innocence (celle que l’on est obligé d’endosser, par humilité « animale » face aux événements graves). Clint Eastwood oubliant certainement que le public actuel a une culture visuelle, l’image suivante est un zoom sur l’ours en peluche. Et puisqu’un clou n’est jamais assez enfoncé, le plan suivant est encore un zoom plus important sur l’ours, dépassant même le cadre de l’écran !

Tout le film est une succession de poncifs et de sur-jeu.

Matt Damon dans le film Au-Delà. Photo : Warner Bros, France.

Matt Damon dans le film Au-Delà. Photo : Warner Bros, France.

La technique n’est pas en reste. L’expérience de ce vieux routard du septième art qu’est Eastwood, devant et derrière la caméra, n’a semble-t-il pas été utilisée à profit. Les erreurs de scripte sont nombreuses et visibles au premier coup d’oeil : des problèmes de raccord lumière et des incohérences de continuité. C’est d’autant plus étonnant que certaines ellipses auraient pu sauver ces maladresses au montage. Plus grave, beaucoup de scènes sont mal éclairées ou filmées. En terme de cadrage, quasiment tous les plans sont en mouvement mais sans justification narrative ni esthétique : des panoramiques inexplicables, des plans caméra à l’épaule mal cadrés (séquence de l’avant-Tsunami). L’éclairage a par moments des lacunes incompréhensibles pour un film d’une telle ampleur, d’autant que le directeur de la photographie Tom Stern signe là son vingtième long métrage en tant que chef opérateur. Des sous-expositions locales, des choix de lumières allant à l’encontre de la qualité visuelle du film (et ne servant pas non plus l’histoire) : les exemples sont légion.

Clint Eastwood prend de l’âge et fonctionne à l’inverse d’un bon cru : le temps joue en sa défaveur et on ne déguste pas son oeuvre, on la boit vulgairement car elle manque de finesse. Au-delà est plombé par une mise en scène légèrement lourdingue qui manque de prise de distance. Les sujets portés à l’écran par le cinéaste sont souvent très riches en couches d’interprétation et possibilités de récit mais ils sont traités à la truelle, cassant ainsi toute l’élégance que l’on s’impatiente toujours de voir d’une réalisation Eastwoodienne. L’acteur et le réalisateur sont bien loins l’un de l’autre.