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Patrick Swirc photographie Béatrice Dalle, les dessous de la séance photo

22 juillet 2010


Béatrice Dalle photographiée par Patrick Swirc pour Télérama.

Béatrice Dalle photographiée par Patrick Swirc pour Télérama.

Ce mercredi là, en début d’après-midi, j’interroge l’un des régisseurs du studio :

– Olivier, je peux me mettre sur le plateau de Patrick Swirc vendredi ? Je connais un peu son travail et j’aimerais assister à la prise de vue.

– Oui, pas de souci, marque-toi sur le tableau.

Pour une fois, j’allais être sur du portrait et pas sur les habituels plateaux de mode ou de catalogue. La mode, ça peut être intéressant mais dans la majorité des cas, l’image est déjà faite : tout est contrôlé, formaté, sur-vérifié. Le client a le plein pouvoir, y compris celui de faire une image à la savonnette : lisse et insipide.

J’arrive donc sur le plateau le vendredi un peu avant midi. La séance photo sera exceptionnellement courte : normalement les plateaux sont loués à la journée et les prises de vue débordent toujours un peu. Sébastien, l’assistant-plateau, m’informe qu’aujourd’hui la séance ne devrait durer qu’une partie de l’après-midi.

Le photographe et son assistant arrivent, on se présente mutuellement. Patrick tutoie tout le monde sur le plateau et appelle les personnes par leur prénom : ça met vraiment à l’aise et surtout on se sent beaucoup plus impliqué.

Daniel, son assistant personnel, joue le rôle de doublure lumière le temps de la construction de l’éclairage. Patrick parfait la configuration de l’ordinateur portable relié à son boîtier, notamment sur le travail en chromie.  Sébastien, Daniel et moi installons les flashes, les diffuseurs et les panneaux de polystyrène pour éviter que la lumière ne tourne et rebondisse sur les murs. Le photographe nous donne ses directives et on ajuste les différents éléments : toile de spi, girafe avec flash et parapluie, panneaux bicolores en polystyrène, …etc.

Finalement, les choix pour la lumière sont arrêtés et l’éclairage définitif est mis en place lorsque Béatrice Dalle arrive sur le plateau. Elle se présente, nous vouvoie – plus par politesse que par froideur – et s’éclipse dans les cabines pour être coiffée et maquillée.

Pendant ce temps, nous discutons de divers sujets photographiques avec le reste de l’équipe et je me propose indirectement pour gérer la musique pendant la prise de vue. Patrick me briefe très légèrement :

– Bon JR tu me mets un truc qui bouge hein ! Je veux quelque chose de dynamique !

– Ok, pas de souci !

Je suis sur de mon coup, ce sera du The Ting Tings, Madcon, Le Tigre, Justice, Michael Jackson, Vitalic et autres Chicks on speed !

Au moment où Béatrice entre à nouveau sur le plateau, il est 15h30. A partir de là, tout s’accélère.

Elle se positionne, debout, dans cette zone sans issue constituée à gauche et à droite par les panneaux noirs et derrière par le fond blanc. Le photographe est en face, debout aussi. Il tient l’appareil photo à main levée.

Tout s’enchaîne très vite. Patrick commence à parler, déclenche. Je mets la musique et les éclairs du flash, telle une concurrence visuelle, créent leur propre rythme, essayant de prendre le dessus sur les percussions de la chanson. A chaque déclenchement, un spectacle audiovisuel éphémère a lieu. Le son est assuré par le CLAC-CLAC du miroir de l’appareil photo et l’image par les centaines de joules envoyés par la torche qui éclaire la scène. On me fait signe de monter la musique. « Shut up » de The Ting Tings est en train de saturer les baffles alors que Patrick dirige Béatrice à la force de sa voix.

Au bout de quelques secondes seulement, l’actrice quitte le plateau : la musique ne va pas. Elle vient vers moi et m’indique Wu-Tang Clan. Bien sûr ! Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ?! Ce que je mettais était bien trop commercial, évident, hors-sujet pour cette personnalité.

La playlist est maintenant chargée en morceaux de hip-hop américain et la séance reprend. Sébastien me voit rester timidement derrière la lumière et de fait, je suis en marge de la séance photo ! Je n’ose pas aller à côté de la station numérique pour voir la prise de vue lorsqu’il me dit : « Mais tu peux aller là-bas tu sais ! Tu es aussi là pour voir comment ça se passe ! ».

Léger sourire gêné ; je me dirige donc vers une ouverture du décor, là où tout le monde est finalement, en train de regarder la séance photo.

Béatrice Dalle photographiée par Patrick Swirc pour Télérama.

Béatrice Dalle photographiée par Patrick Swirc pour Télérama.

Patrick Swirc dirige énormément, parle fort : « Ouais comme ça ! Super ! Mets ta main dans tes cheveux. Oui. Non. Super ! ». Les mots sont laconiques, simples, efficaces. Avec lui, c’est direct, quasi-animal. Tout se joue dans le relationnel, la connexion entre le photographe et son sujet est directe, la relation est franche, sincère, professionnelle, un peu comme dans cette légendaire séquence de Blow-Up d’Antonioni où le photographe crie sur la modèle « WORK ! », ce à quoi elle répond par une communication non verbale, elle donne, livre son image et une partie d’elle-même. C’est comme en dessin : moins il y a de réflexion, plus c’est rapide et plus on atteint la justesse, on obtient de la spontanéité tout en conservant un certain contrôle.

Légèrement hors champ, la coiffeuse (?), la styliste (?) dirige un ventilateur directement vers l’actrice. Ses cheveux volent, le visage est dégagé mises à part quelques mèches rebelles qui redessinent plusieurs lignes noires du front aux joues.

Le photographe déclenche, mitraille, continue de lui parler, presque en permanence. Un instant il se retourne vers Daniel à la station numérique où toutes les photographies arrivent en direct. Le responsable du service photo de Télérama entre dans le plateau, rejoint l’assistant derrière l’écran pour voir les images défiler. Patrick interroge le duo :

« Alors il s’passe un truc là ?! »

Les deux hommes acquiescent et la séance photo recommence de plus belle, avec un dynamisme augmenté. L’état de transe est quasi-perceptible.

15h45.

Tout est terminé. Quinze minutes ont suffi. Des centaines de photos ont été prises. Tout a été créé, capté.

Béatrice Dalle quitte le plateau avec ces paroles, étonnée : « Quelle énergie !! Çà fait plaisir à voir ! » et rejoint les cabines.

Patrick et le client commencent l’éditing, commentent les photos.

Sébastien, Daniel et moi déconstruisons la lumière et rangeons le matériel. Béatrice Dalle part peu de temps après.

Vers 17h30 – 18h00, je ne me souviens plus exactement, le plateau est calme et silencieux. Patrick et les quelques personnes restantes sont assis et discutent.

Ce jour-là je dois partir tôt, je dis au revoir à l’ensemble de l’équipe. Pour un dernier jour de stage au studio, je viens de vivre la séance photo la plus marquante des six dernières semaines.

Les photographies paraîtront dix jours plus tard en couverture de Télérama et en pages intérieures.

Couverture de Télérama n°3143 avec Béatrice Dalle. Photographie : Patrick Swirc.

Couverture de Télérama n°3143 avec Béatrice Dalle. Photographie : Patrick Swirc.

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