JRPAC

J’ai découvert un chef d’œuvre !

18 septembre 2010

Dès la première vision, une sensation vous submerge, celle de reconnaître une pièce d’art, une vraie ! Dans l’anonymat de la foule et avec un regard vierge de tout préjugé, vous n’avez effectivement toujours pas pris connaissance du titre de la toile et du nom de son auteur. Mais telle une pépite d’or à vos pieds que personne n’a vue, vous profitez de cet instant magique et esquissez un petit sourire intérieur qui devient rapidement extérieur et visible. Quel délice d’avoir l’impression de découvrir tout seul un chef d’œuvre ! On se félicite alors de son extrême sensibilité et de son (bon) goût pour l’art ! Oui, vous vivez la sensation d’avoir découvert la révélation artistique de l’année sinon de la décennie et les plus audacieux d’entre vous rêvent déjà de devenir un art-maker à la Charles Saatchi ; vous savez, ce publicitaire anglais et grand collectionneur d’art qui par le simple achat d’une œuvre en salle de vente peut provoquer un effet de mode ou une tendance dans le milieu de l’art !

Je suis au musée Marmottan à ce moment là et la visite sur Claude Monet continue. Au détour d’un regard, je vois une œuvre immense, abstraite, dans les tons de vert. Le reste du groupe écoute attentivement la guide alors que je suis corporellement happé par cette toile. Quelle force ! Il y a comme un magnétisme qui émane  de l’œuvre. Il faut que je sache qui est l’artiste, je m’approche timidement du petit écriteau sur la droite. Je veux le regarder tranquillement car je suis impressionné par cette peinture et je ne voudrais pas lui manquer de respect en jettant un regard furtif qui volerait et violerait les informations associées par une lecture hâtive et vulgaire ! Un bon repas se déguste sans précipitation.

Abstraktes Bild, See. 1997. Gerhard Richter.

Abstraktes Bild, See. 1997. Gerhard Richter.

Mince ! Encore lui, il m’a eu, il me suit. Cet inconnu il y a encore dix secondes ne l’était finalement pas du tout pour mon inconscient ! Ses toiles ont le dessus sur mes capacités d’analyse et de prise de recul qui auraient pu me dire doucement, sous forme d’indice à la Questions pour un Champion « Artiste-peintre allemand contemporain ». Au fond, j’aurais voulu que mon esprit se dise « C’est bon Gerhard, j’t’ai reconnu ! Arrête ton cinéma ! Je ne suis pas dupe ». Je croyais pourtant bien l’avoir cerné avec ses autres tableaux, je pensais le comprendre, connaître son œuvre pour la détecter avant même que je lise le descriptif et malgré tout il me surprend toujours ! L’intellect avait été éteint et l’effet de la peinture était passé au travers de la culture artistique, de la raison, de la connaissance de ses travaux et la fatigue à voir beaucoup d’œuvres distinctes et de grands maîtres cette semaine là semblaient s’être évaporée l’instant où mes yeux s’étaient posés sur ce sombre vert-cyan gratté, texturé et torturé. Le diamant avait jailli de nulle part, enfin au sein d’une salle dédiée à Monet et ses fils artistiques quand même !

Les événements se suivent et se ressemblent. En août, je suis allé à Bilbao et ai visité le musée des Beaux-Arts. Cette scène s’est répétée avec une peinture de la renaissance, le rapt de Deidamia par Rubens, puis celui d’Europe par Martin de Vos (une réelle claque esthétique dont je me remets encore difficilement) et enfin – bien moins évident -, « Some neat cushions » par l’imprévisible mais toujours aussi génial David Hockney.

Le rapt de Deidamia, 1637. Peter Paul Rubens.

Le rapt de Deidamia, 1637. Peter Paul Rubens.

Le rapt d'Europe, 1590. Martin de Voos.

Le rapt d'Europe, 1590. Martin de Voos.

Some Neat Cushions, 1967. David Hockney.

Some Neat Cushions, 1967. David Hockney.

Me voilà rassuré, je croyais avoir un cœur de pierre ces derniers temps. La faute à ces artistes contemporains comme Anish Kapoor, Richard Serra et autres Morgane Tschiember qui ne me font aucun effet, sinon celui de perdre mon temps à essayer de comprendre le travail d’imposteurs. Grâce à ces récents coups de cœur, j’éprouvais à nouveau ce doux sentiment de pouvoir à nouveau apprécier une œuvre, l’adorer dès l’instant où je la découvrais et la faire rentrer dans l’art sans la moindre hésitation, avec une inflexible conviction. Le temps nous dira si cette conviction était si inébranlable.

En savoir plus