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Congrès sur le livre photographique à Perpignan

22 octobre 2010

Le week-end dernier, je suis allé à Perpignan pour le congrès Galerie Photo sur le livre photographique. Il était organisé par l’association bla-blART, laquelle édite aussi le magazine photographique trimestriel Regards.

Je suis arrivé à Perpignan en avion le vendredi. Dès que les roues ont touché la piste d’atterrissage, j’ai senti que ce seraient trois jours sympathiques ! Par le hublot, je ne vois pas de tour de contrôle, pas de terminaux gigantesques, pas de camionnettes pour transporter les valises ou ravitailler les avions ; juste des palmiers et le bâtiment de l’aéroport surmonté des lettres P-E-R-P-I-G-N-A-N éclairées par une lumière orangée de fin d’après-midi. Notre avion est le seul des alentours, j’ai l’étrange impression de revivre mon arrivée sur l’île de San Andrés lorsque j’étais parti en Colombie, d’atterrir dans un petit village où l’aéroport est un aérodrome. Nous descendons directement sur le tarmac, je récupère mon sac et direction le centre ville.

A l’hôtel, je dépose mes affaires et file directement au dîner, dans une brasserie en ville. Je ne connais personne, j’aime bien ce genre de moments où je me jette volontairement dans l’inconfort, c’est le meilleur moyen de faire de belles rencontres et de s’ouvrir au « nouveau ». A ma gauche, les membres très actifs du forum, spécialistes, pointilleux mais néanmoins ouverts : Henri Gaudphotographe d’architecture au service du patrimoine – et Jean-Claude Mougin – spécialiste du procédé au platine palladium – le sont tout autant lors de ce repas. Les discussions vont bon train et on y parle du marché actuel de la photographie et de procédés qualitatifs en train de disparaître comme l’héliographie / héliogravure. A ma droite, trois nouveaux comme moi : Olivier et Philippe de l’imprimerie Escourbiac et Jean-David, qui travaille dans la photographie, la communication et s’est mis au grand format il y a quelques années.

Etant toulousain de naissance, c’était assez étonnant que mes voisins de tablée soient aussi des voisins de ma ville natale puisque leurs presses sont dans le Tarn. On discute de l’évolution du livre photo d’artiste et Olivier me parle d’un certain Sébastien Girard, toulousain aussi, qui a auto-édité son premier livre et qui a été imprimé chez eux. Je ne connaissais pas ce photographe et dès le soir même, je suis allé voir sur Internet ses travaux. Apparemment, son livre a fait un sacré succès et il a reçu des critiques prestigieuses comme celle d’Alec Soth.

Le repas se termine. Je rentre à l’hôtel avec des informations sur la photographie et le milieu dans la tête.

Le lendemain, samedi, est la réelle journée du congrès. Les conférences sont donc axées sur le livre photographique :

  • Le livre d’artiste en photographie (François Besson)
  • La série en photographie (Henri Peyre)
  • Techniques actuelles d’impression, quels choix pour quels livres ? (Henri Gaud)
  • De l’image au livre imprimé, quel chemin pour le photographe en auto-édition ? L’exemple de la Revue Regards (Pierre Corratgé)

De manière succincte, je partage les notes que j’ai pu écrire sur les différentes interventions.

Le livre d’artiste en photographie

La première conférence présente un aperçu du livre d’artiste. Je découvre pour la première fois les éditions Toluca qui éditent pourtant des artistes comme Jean-Marc Bustamante ou Thomas Ruff. Durant les projections, le conférencier met en avant certaines publications. On peut noter par exemple la série The Morgue d’Andrès Serrano (artiste représenté par la galerie Yvon Lambert) qui a fait l’objet d’un livre aux éditions La Tête d’obsidienne.

Une autre référence du genre (livre d’artiste photographe) est Twentysix Gasoline Stations d’Edward Rusha. Ce livre est considéré comme précurseur du livre d’artiste actuel. Il a été auto-édité et imprimé par l’auteur.

François Besson nous a donné le lien d’un site à ajouter dans ses favoris, un blog référençant tous les livres photographiques auto-édités : The Independent Photo Book. Il suffirait d’envoyer les informations sur son ouvrage et le moyen de l’acheter pour avoir l’honneur d’un article sur le blog ! Les fins observateurs d’entre vous remarqueront que l’un des fondateurs de cette initiative n’est autre que Jörg Colberg (vous vous souvenez ? J’en parlais dans mon article sur Rineke Dijkstra).

La série photographique

On retrouve Henri Peyre et ses fines analyses théoriques. Je vous conseille notamment son sujet sur le portrait avant la photographie ou encore un exemple d’analyse de photographie avec une image de Thomas Struth.

Il introduit son propos avec un rappel des différentes définitions que l’on peut attribuer au mot « série ». Puis, il évoque la série dans le monde pictural. J’avais effectivement oublié, dans l’histoire de l’art, le rôle de certaines commandes dans la constitution de séries. Marie de Médicis commande à Rubens une série de toiles biographiques qui orneront ses appartements.

Henri soulève aussi la question de la légitimité de parler de série lorsque le peintre ou le photographe réalise un ensemble d’œuvres avec un thème identique. Jean-Baptiste Oudry a beaucoup peint les animaux mais ses œuvres ne peuvent constituer une série : il n’y a pas d’unité ni de construction initiale du travail. Récolter des images et créer une cohérence en aval est au mieux une collection mais pas une série.

En somme, pour conclure cet exposé, pour parler véritablement de série en photographie, il faudrait que les trois conditions suivantes soient remplies :

  1. Sujet précis
  2. Délai (tout comme un projet doit avoir un début et une fin)
  3. Contraintes techniques

La série apporte aussi une rentabilité économique : on se déplace moins (exemple : la cathédrale de Rouen vue par Monet) et on produit plus.

Techniques actuelles d’impression, quels choix pour quels livres ?

L’après-midi du congrès s’est ouverte avec Henri Gaud au micro. L’exposé était technique et il est délicat de reprendre en détail tout ce qui a été dit. Son discours était articulé en trois parties. Voici le plan de l’ensemble de son intervention sur la pré-production et la production d’un livre photographique :

  1. Fabrication (préparation)
    1. Rassembler les informations
    2. Concevoir une charte graphique
    3. Réaliser la mise en page
    4. Fabriquer l’ouvrage
    5. Imprimer l’ouvrage
  2. Procédés
    1. Type de presse : machines feuilles et rotatives
    2. Format des presses
    3. Procédés d’impression
    • Offset
    • Héliogravure
    • Typographie
    • Flexographie
    • Xérocopie
    • Phototypie
  3. Répartition des coûts
    1. Côté éditeur
    2. Côté lecteur/acheteur

Pour les photographes, l’étape que les imprimeurs appellent la photogravure est souvent sous-estimée en terme de temps et de coût. La préparation correcte des fichiers fait appel à des compétences très spécifiques (scannériste, retoucheur, …etc). De même, toute la partie graphique (charte graphique, mise en page / maquette) est primordiale : elle doit être pensée en étroite relation avec le sens du propos. Comme souvent, la forme devient aussi le fond. Dans les métiers visuels comme celui de photographe, le sens se trouve dans le produit fini (la forme).

En terme financier, pour les photographes qui veulent se lancer dans la création d’un livre, un pourcentage a été avancé lors de cette conférence : l’auteur ne touche que 10% du prix public.

De l’image au livre imprimé, quel chemin pour le photographe en auto-édition ? L’exemple de la Revue Regards

Pierre Corratgé, l’organisateur de ce congrès nous a présenté l’histoire et l’historique de la revue photographique qu’il a créé, la Revue Regards. Entouré d’un comité rédactionnel restreint, le magazine sort tous les trois mois et met en avant le travail de six photographes. Ils ne sont pas dans une logique commerciale ce qui implique une structure de coût réduite. Le magazine est imprimé en laser sur papier 170g avec un dos carré collé. Il est actuellement vendu 25 € port compris. J’avais acheté le premier et le second et continuerai à les suivre.

Il ne nous a pas caché les échecs (la version anglaise) et les difficultés (va-et-vient logique avec l’imprimeur au début) mais la revue a le mérite d’exister et surtout, de continuer.

Le congrès en un coup d’œil

Le livre photographique permet surtout une auto-expression. L’auteur qui devient sa propre maison d’édition peut contrôler l’ensemble de la chaîne : les images, les textes, la mise en page. Avec le choix d’un bon imprimeur et un bon contact avec ce dernier, la création et les choix personnels se prolongent à l’impression.

D’un point de vue financier, il est illusoire de penser gagner de l’argent sur ses livres. Au mieux, on peut rembourser les frais d’impression. Au pire, il faut accepter que ce sera un projet à perte (d’un point de vue financier, pas humain ni artistique). Il est important aussi de souligner que le coût de la réalisation du projet (temps passé, matériel, films, développement/scan, transport, hébergement) n’est souvent pas intégré au budget.

Par un système de souscription, le photographe peut s’assurer de rembourser les frais d’impression sans avancer l’argent auprès de l’imprimeur. Cela consiste à encaisser le prix final du livre auprès des clients intéressés. En d’autres termes, il s’agit de pré-commandes. Quoiqu’il en soit, le photographe doit endosser une casquette d’agent et de commercial pour vendre son livre. L’auto-édition signifie aussi auto-communication et il est indispensable d’agir sur plusieurs fronts (Internet, festivals, congrès, salons) pour vendre son ouvrage.

Le portrait n’est pas uniquement négatif. Au delà de l’enrichissement personnel sur le plan de l’expérience, des compétences et de la recherche artistique – ces trois points étant certainement les plus intéressants et importants pour une telle entreprise -, la publication d’un livre semblerait être une bonne carte de visite pour la suite.

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Maison. 2010. Photo : Jean-Romain Pac.

Maison. 2010. Photo : Jean-Romain Pac.