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J’ai 26 ans et je peux mourir

30 décembre 2009

Faites le deuil de votre propre mort et vous commencerez à vivre ! J’ai 26 ans et je considère que j’ai fait mon temps sur Terre. Ne lisez pas dans ces lignes un aveu de projet d’autolyse comme on dit dans l’armée (pour parler du suicide) mais exactement l’inverse !

L’homme préhistorique, avec qui je me plais souvent à réaliser quelques comparaisons a une espérance de vie inférieure à 30 ans. Quelque part, chaque année supplémentaire à laquelle j’ai droit est une chance, un bonus : alors, pourquoi ne pas en profiter comme tel ?!

L’hédonisme a dicté les décisions les plus importantes que j’ai eu à faire dans ma vie.  Arrêter mes études en cours de route alors que tout le monde me conseillait le contraire. Partir en Colombie sur un coup de tête en achetant un billet aller-retour pour Bogotá à 2 heures du matin. Tout plaquer pour quitter plus de dix ans d’apprentissage et de compétences dans un domaine – l’informatique – pour en découvrir un nouveau où je débute – la photographie -. Ou encore, pour mes 19 ans, organiser un voyage le long des lignes du transsibérien avec un ami alors que personne n’y croyait, à commencer par mes parents !

Suivre ses désirs et rien que ses désirs, tant que l’on n’endosse pas quelconque responsabilité au regard de la société, c’est le meilleur moyen d’avancer, pas forcément de grandir par contre. Pour ça, il faut regarder la personnalité de chacun et surtout l’ « âge d’une âme ». Je pourrai développer ce point dans un autre article mais rapidement je considère qu’une personne que l’on qualifie de mature le doit à son âme. L’âme serait ce qui regroupe plusieurs vies de la même manière qu’une vie regroupe l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte.

Voici un rapide schéma résumant ma pensée sur le sujet.

Vision personnelle de l'évolution de la maturité.

Vision personnelle de l'évolution de la maturité.

Bref, l’envie du moment c’est de vivre des expériences hors du commun, de faire des rencontres humaines et de ne pas perdre mon temps à construire mon confort matériel dans une société qui n’est basée que sur ça. Je n’ai rien contre le matérialisme. Comme le dirait Fabrice Midal, il n’y a rien de mauvais dans l’ « avoir », bien au contraire. Cependant, actuellement, c’est plus un boulet pour moi qu’autre chose, le matérialisme ne m’apporte plus rien dans mon développement personnel. A choisir entre un voyage et un bel appareil photo, je choisis sans hésiter le premier. Il y a quinze ans, je ne suis pas sûr que j’aurais répondu la même chose !

Je veux donc découvrir, vivre sans filet, aimer, donner, souffrir, apprendre, douter, apprécier et être encore plus sensible. La sensibilité, c’est une connexion directe au monde qui nous entoure. Le rapport à autrui fait tout l’intérêt et le mystère d’un être humain. Si avant je pouvais admirer quelqu’un par ses réalisations, maintenant, cela m’est totalement indifférent. Je me contrefiche de la culture d’un Homme, de ce qu’il fait, de son intelligence. Il est prix Nobel de physique ? Il a monté son entreprise et maintenant est milliardaire ? Il est docteur en philosophie et ses livres sont traduits dans plus de cinquante pays ? Tout cela m’est bien égal. Ce n’est qu’une succession de non-informations dans mon esprit. Par contre, l’humanité qui se dégage d’un être est le point important de l’Humanité tout court.

Mon entourage a changé par rapport à il y a quelques années. J’accorde de plus en plus d’importance aux gens qui sont, simplement. Ceux qui vous disent sans détour ce qu’ils pensent de vous, qui vous côtoient pour l’unique intérêt du plaisir de passer du temps ensemble, ceux qui vous font rire et que vous continuez à voir même s’ils sont avares, égoïstes ou lunatiques ! Au fond, ce sont les personnes qui amènent un bol d’air frais, un souffle positif sur leur entourage. N’y voyez pas ce positivisme simpliste que les média se plaisent à relayer parce que « ça fait vendre et c’est tendance », ni même ce positivisme thérapeutique où une relation entre deux amis ne tient que par la bipolarité des personnalités (un heureux, un triste). Je pense plutôt aux gens qui sont bienveillants. J’en ai rencontré partout dans le monde : en Colombie grâce à Michael, ce voyageur itinérant qui en quelques phrases m’a donné la plus grande leçon de vie de mon existence, en Mongolie par cette femme, la maîtresse de maison qui s’occupait de toute la famille dans la yourte où nous étions hébergés et qui nous avait amenés, à dos de chameau, dans le désert de Gobi. Elle ne disait mot mais son visage envoyait les messages les plus purs que j’ai pu recevoir. Et puis en Europe bien évidemment, notamment avec Morisia, mon ex-colocatrice italienne avec qui j’ai une relation quasi-fraternelle.

Cet après-midi mon neveu de deux ans regardait un dessin animé pour enfants. Deux petits oiseaux s’éloignent du nid et l’un deux a peur : « il faut rentrer, c’est dangereux ». L’autre, plus téméraire persiste et s’avance dans la nature hostile. Un renard surgit, les menace et les deux petits oiseaux ne sachant pas encore voler commencent à courir. Le renard distancé, ils avaient survécu. L’oiseau qui doutait dit à l’autre « Tu vois, je t’avais dit qu’il ne fallait pas s’éloigner ». L’autre, encore essoufflé lui répond avec un sourire « Mais si ! Regarde, si on n’était pas parti, on n’aurait jamais vécu cette expérience ! ».

La vie devrait se résumer à cette devise simpliste mais tellement vraie et saine.

Qu’importe si on perd la vie suite à quelconque danger pris, on aura vécu pleinement et intensément.

Le fait de dire je peux mourir demain est une double libération : celle de l’existence, plus ternie ni lissée par la crainte de la mort et celle de la mort elle-même qui ne nécessite plus aucune préparation psychologique pour « partir en paix ». Vivre ses passions passionnément répond à tout ça.

Lorsqu’Henri Cartier-Bresson parle du Mexique, la larme à l’œil, il évoque de suite la passion qui anime les gens qui vivent dans ce pays. Il en parle avec nostalgie, celle d’un temps – une époque de sa vie – où on ne se préoccupe pas du temps justement. Tout est dans le présent.

Dans ma vision idéaliste, il suffit de prendre un avion pour Rio, pour aller étudier l’anthropologie dans une université brésilienne. Le portugais ? J’apprendrai sur place, tout comme j’ai appris l’espagnol à Alicante.

Et puis, je m’en lasserai, la vie tranquille me rattraperait avec tout son danger d’immobilisme mental. Je voudrai à nouveau remettre mon corps en danger par l’insécurité et vivre des expériences marquantes. Je me débrouillerai pour trouver un moyen de rentrer aux États-Unis, légalement, et j’irai à New York. Je n’aurai pas d’emploi et là, je tomberai sur une affichette dans la rue qui proposerait d’être barman. J’ai toujours rêvé de travailler dans la restauration, c’est un théâtre interactif, on assiste au bal des êtres humains et on en est acteur par la même occasion ! Il faut comprendre les comportements des clients, il faut analyser sociologiquement tous les individus. Ceux-là sont-ils en couple ? Et ces parents accompagnés de leurs enfants, sont-ils en train de s’offrir leur premier voyage en famille ? Ce vieil homme qui lit son journal tous les matins à la même place, dois-je lui amener directement son jus d’orange quotidien ou lui laisserais-je l’occasion de briser la routine du quotidien en le laissant me commander une autre boisson ?

Ainsi, d’expérience en expérience, ma vie s’enrichirait. Elle  serait une suite d’aventures fatigantes mais croustillantes où les relations humaines prendraient la place centrale. Se confronter à l’autre, humainement, culturellement parlant, c’est devenir un caméléon et s’adapter à l’autre pour le comprendre. Tout cela suppose d’accepter l’inconfort de l’acceptation de nouveaux points de vue, remettant en cause tout le socle sur lequel nous nous sommes bâtis pendant plusieurs années. L’Homme a besoin de repères mais l’Homme réellement libre ne s’enrichit que par la seule certitude de l’incertitude. La vraie curiosité et découverte, celle qui nous change profondément, a un coût. Il suffit de renoncer à ce que l’on va perdre pour recevoir ce qui nous sera donné dans notre vie. Dès lors, on peut mourir demain ou dans cent ans car notre vie n’aura souffert d’aucun regret.